Zoom libraire

 29/10/2020

Pendant de nombreuses années, le numéro 55 de la rue de Renory abritait deux commerces : une librairie-presse et une épicerie. Leur entrée était la même, mais une cloison séparait les deux activités. Nadine s’occupait de l’épicerie, Laurent diffusait de la presse. Depuis janvier 2020 et une rénovation, les légumes frais font désormais face à la carterie, les frigos de boissons surgissent parmi les rayonnages contenant la presse du jour et le comptoir à sandwichs a pour voisin l’Altura de la Loterie Nationale. Bienvenue Chez Laurent et Nadine !

Deux commerces en un

« Le véritable moteur de notre métier, c’est la passion avant tout. Si vous n’aimez pas le contact avec votre client, il ne faut pas vous mettre derrière un comptoir. » confie d’emblée Laurent Dupont, après avoir pris cinq bonnes minutes pour expliquer à un client la marche à suivre afin de télécharger l’application de la Loterie Nationale et bénéficier des avantages liés.

Et des clients, il en voit défiler encore plus depuis la rénovation de son commerce et la transformation de deux commerces distincts en une seule et même entité.

« J’essaye vraiment de prendre le temps pour chacun et chacune, on sent que certain(e)s ont besoin de se confier, donc on ne les expédie jamais, continue-t-il, c’est vraiment ce qui fait le charme du commerce de proximité.

D’ailleurs, on ne reprend ou n’ouvre pas une librairie-presse en se disant que l’on va devenir riche ! Il faut faire la différence entre le chiffre d’affaires et le bénéfice. Le meilleur exemple, c’est quand on voit qu’on a plus de clients pour la librairie que pour l’épicerie, mais que les marges sont tellement plus intéressantes pour l’épicerie et les sandwiches que pour la presse, les cigarettes ou la Loterie… Finalement, les deux commerces s’équilibrent assez bien, même si cela penche parfois plus d’un côté ou de l’autre selon la période. »

Une harmonie qui existait déjà depuis quelques années, puisque Nadine, l’épouse de Laurent, vend des fruits et légumes depuis 1985 et Laurent tient une librairie-presse depuis 1995.

« Je suis originaire du quartier et à la suite d’une restructuration, j’avais perdu mon emploi. Une librairie située plus loin rue de Renory (ndlr : la rue actuelle de sa librairie) était à remettre. Le commerce tournait bien, mais le propriétaire avait quand même fait faillite. Un des principaux handicaps lors de ma reprise, c’est que le point de vente avait été fermé pendant cinq semaines donc les clients étaient partis. Sincèrement, je pense qu’on a ramé pendant cinq ans au départ.

Les années passant, nous avions les deux loyers des commerces à payer et nous avons décidé de chercher un bâtiment à acheter pour réduire les frais. Notre choix s’est porté sur cette ancienne banque qui servait surtout à classer des archives. Nous étions les seuls candidats à son achat et avons donc pu réunir les deux magasins. » raconte-t-il.

Le choix initial fut de séparer les deux commerces avec une cloison. Leur entrée était commune et l’épicerie ouvrait plus tard que la librairie-presse. Un fonctionnement que Laurent et Nadine ont maintenu pendant vingt ans.

« Nous avons connu quelques belles années avant de fléchir un peu au niveau de notre chiffre d’affaires et forcément des bénéfices. En parallèle à cela, des élèves de l’école située non loin de la librairie-presse nous avaient demandé si nous ne voulions pas nous lancer dans les sandwichs. Seul bémol : c’était tout simplement impossible avec la configuration que nous avions alors.

Avec mon épouse, nous avons alors eu une réflexion sur l’avenir de notre affaire et nous avons décidé de fermer une semaine pendant le mois de janvier 2020 pour effectuer des transformations afin de réunir les deux commerces et les remettre au goût du jour. Plusieurs mois plus tard, je peux franchement vous dire que si c’était à refaire, je l’aurai fait plus tôt ! » rigole-t-il.

Une réunification bénéfique, mais qui ne s’est pas totalement effectuée sans crainte, du moins au début.

« C’est vrai que j’ai eu un peu peur au départ, confirme Laurent, car quand vous rentrez dans le magasin maintenant, c’est d’abord une épicerie et le côté librairie-presse est un peu plus caché. Je craignais que les clients ne comprennent pas que la presse était toujours là. Cependant, je reste persuadé que c’était le bon choix. Connaissant le secteur et l’évolution du marché, nous n’avions pas non plus énormément de choix. Et depuis, je ne peux être que satisfait de cette transformation. »

Néanmoins, il est encore difficile de tirer des conclusions sur le long terme au vu de la première partie de l’année marquée par le confinement et toutes ses conséquences.

« D’un côté, nous avons connu notre lot de journées de fou pendant le COVID-19, car beaucoup d’autres commerces ont dû fermer, mais de l’autre, notre lancement dans le sandwich a littéralement été coupé net avec le confinement. Heureusement cela a redémarré depuis. Nous allons donc devoir attendre une période plus normale avant d’analyser les effets de notre nouvelle configuration. » corrobore-t-il.

Et quand on lui demande si deux commerces en un ce n’est pas trop difficile à gérer au quotidien, c’est avec un petit sourire que Laurent répond : « Ah ça ! On va dire qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer ! Rien que le matin, mon épouse part au marché de Droixhe à 5h30 et de mon côté j’attends la livraison de la presse. En gros, c’est un peu la course contre la montre. Sans oublier le marchand de pain qui vient également nous livrer.

Heureusement, maintenant nous sommes rodés, donc nous ne nous en sortons pas mal au niveau de la gestion, mais c’est une logistique de fou. Par exemple en fin de semaine, c’est impossible de faire de l’administratif, il faut penser à tout, tout le temps. Nous n’avons vraiment pas le temps de souffler… »

 

Le cœur avant la raison

Reste à savoir si Laurent et Nadine ont encore des projets futurs de diversification ou s’ils pensent avoir atteint le maximum dans leur magasin :

« De façon générale, je pense qu’il n’est pas rare que votre chiffre d’affaires diminue dans le secteur et la diversification est clairement une solution, mais elle change complètement selon votre emplacement et les attentes de votre clientèle.

Chez nous, il fut un temps où nous vendions énormément de papeterie, mais désormais c’est difficile de concurrencer certaines grandes enseignes. De plus, l’école la plus proche de la librairie-presse est une école technique qui enseigne l’esthétique et la coiffure. Pas vraiment le type de public qui vient chez moi pour un cahier ou un compas, explique Laurent.

Mais attention, je n’ai pas à me plaindre, car mon chiffre d’affaires s’est stabilisé. Bon, on sait que ce sont plus les belles années et quand je vois les marges bénéficiaires du côté de l’épicerie qui atteignent souvent du 40%, je me dis que la différence reste notable. »

De quoi envisager de nouveaux produits ?

« Faut-il toujours vouloir grandir ou se dire qu’on est à fond, tant pis, mais on est à fond et on sait ce qu’on gagne ? demande-t-il.

Il est évident que quand vous n’avez pas le choix, la question a sûrement une autre réponse, mais dans mon cas tant que je reste stable, je sais où je mets les pieds. Se diversifier oui, mais pas n’importe comment ni avec n’importe quels produits. Je ne veux pas devenir un grand bazar.

Et puis quand on voit certains produits avec des marges rabotées comme les cartes de bus, cela ne donne pas franchement envie. À l’époque, nous avions 15% sur les cartes Mobistar vendues via la Loterie, maintenant je ne regarde même plus. Vendre 1.000 cartes de bus par jour juste pour faire entrer des clients qui ne t’achèteront pas autre chose et qui sont toujours pressés, cela ne m’intéresse pas.

Sans oublier qu’ajouter de nouveaux produits, c’est prévoir encore plus de gestion. Et à toujours vouloir faire plus, tu risques de t’écrouler. Seulement voilà, si tu fermes ton commerce ne fut-ce qu’un seul jour, car tu es malade ou que tu es tout simplement au bout du rouleau, non seulement tu ne gagnes rien du tout sur cette journée, mais en plus une devanture fermée cela se remarque et a un mauvais impact au niveau des clients, continue-t-il.

Pour le futur, il fut un temps où on avait pensé à abattre le mur qui sépare notre commerce et les pièces du fond (réserve), mais nous avons déjà réalisé d’énormes travaux qui ont grandement amélioré notre confort de travail. Nous prenons davantage de plaisir à travailler maintenant qu’avant », conclut Laurent.

Par rapport au futur, une chose en tout cas est certaine pour Laurent : pas question de faire l’impasse sur la l’essence même de son métier de diffuseur de presse.

« On ne sait jamais de quoi demain sera fait, mais si c’est pour ne plus être libraire-presse, cela ne m’intéresse pas ! Bien sûr, il y a toujours moyen d’aller chercher d’autres produits, d’ajouter de nouveaux services. Mais je ne veux pas délaisser le cœur de mon métier et ne plus avoir le temps de conseiller un client sur un magazine ou un livre. C’est pareil avec la sandwicherie que nous avons aujourd’hui, elle ne doit pas se faire au détriment de la librairie-presse. D’où l’importance de garder un équilibre le plus longtemps possible.

Par exemple, j’effectue toujours des tournées à vélo chaque matin et cela reste un plaisir de la faire… bon sauf quand il pleut, plaisante-t-il, mais c’est important pour moi de continuer à proposer ce service à mes clients les plus âgés, même s’ils repassent dans la librairie-presse en journée.

Mais demain, je ne suis pas certain que cette clientèle d’un certain âge sera remplacée par une autre et j’aimerai bien que les gens reviennent vers les petits commerces. D’un côté plus positif, nous avons beaucoup d’étudiants kotteurs dans le quartier qui se rendent compte que nous ne sommes pas plus chers qu’ailleurs et surtout que nous avons plus de flexibilité que les grandes surfaces. Le quartier et sa population changent, en tant que libraires-presse nous devons continuer à évoluer avec eux pour rester le cœur de notre quartier ! »

 

Interview réalisée par Colin Charlier pour le Zoom libraire du Prodipresse Magazine n°98 d'octobre 2020.