Zoom libraire

 30/12/2019

« On a notre Marianne, on peut rivaliser avec les Français » glisse un habitué, suscitant les rires de ses quelques comparses réunis autour d’un café. Leur Marianne, c’est Marianne Morue, libraire/presse à Liège dans le quartier des Vennes. Le 14 septembre, elle a fêté la rénovation de son commerce avec une « réouverture » officielle pour ses clients. Une troisième transformation de sa librairie/presse qui accueille désormais un espace « salon de thé » où les clients peuvent prendre le temps de déguster un café tout en lisant la presse quotidienne.

 

Travaux et roue aux cadeaux

« Les travaux ont duré de fin février à fin juin. J’ai gardé la librairie/presse ouverte durant tout ce temps, car cela aurait été trop long de fermer sur une aussi grande période. Comme les ouvriers ont commencé par casser le mur du fond pour agrandir mon commerce, ils m’avaient installé une paroi en bois qui séparait la librairie/presse de la partie « travaux ». Avant, la deuxième partie de mon commerce était une cour extérieure. Il a donc fallu reculer le jardin, abattre deux murs porteurs et faire construire une pièce dans la continuité de mon magasin », m’explique Marianne alors que nous sommes attablés dans la nouvelle partie de son commerce.

« Par la suite, j’ai quand même dû fermer dix jours en juillet afin de refaire la première partie de mon magasin et de réaménager les rayons.

Au début, et bien que les travaux étaient terminés, j’ai remarqué que mes clients n’osaient pas trop franchir le pas et aller dans la nouvelle partie. C’est de là que m’est venue l’idée d’organiser une « réouverture officielle ».

Pour l’occasion, j’avais prévu un petit verre de bienvenue et Télépro m’a proposé de faire un événement pour marquer le coup. Le représentant est donc venu dans ma librairie/presse avec une roue aux cadeaux. J’ai eu pas mal de clients, mais pas de grosse augmentation non plus. Comme il faisait beau, j’imagine que les gens ont été se promener !

Toutes les tables et chaises que vous voyez ici, c’est uniquement du matériel de récupération et d’occasion, car les travaux représentaient déjà un sacré budget à eux seuls ! Les tables, je les ai récupérées sur internet, tout comme les chaises. Pour les premières, nous les avons repeintes et vernies en famille. J’ai pu mettre mes deux filles à contribution ! Concernant les chaises, je suis passée par un artisan pour refaire l’assise. Je voulais quelque chose de très coloré et de très gai… je crois que c’est assez réussi.

Quant à l’éclairage, j’ai moi-même tout refait en LED. D’ailleurs, il n’y a rien de plus simple et je tiens à mettre en garde mes collègues qui passeraient par des sociétés extérieures et à qui on risque de demander un prix trop élevé pour ce travail. »

 

Trois transformations en 28 ans

« À l’origine, mon mari et moi tenions une librairie/presse dans un local commercial que nous louions deux maisons plus loin. Quand nous avons acheté le bâtiment, en 1991, c’était une sorte de pari, un peu comme acheter « un chat dans un sac ».

Mon mari ne voulait pas de ce commerce à la base. De mon côté, j’étudiais le chant classique au conservatoire et je l’aidais dans la librairie/presse. Puis, mon aide s’est faite de plus en plus fréquente, sans oublier le fait que je suis tombée enceinte. J’ai donc dû arrêter le chant.

Bref, nous voilà propriétaires d’un bâtiment avec, au rez-de-chaussée, deux commerces : un tout étroit avec une entrée indépendante pour l’étage et une petite bijouterie avec plusieurs réserves.

Suite à notre achat, nous avons effectué une première transformation. Nous avons décidé de réunir les deux commerces pour faire une librairie/presse avec deux vitrines (ndlr : celles des deux anciens commerces).

Et puis il y a douze ans, mon mari est parti du jour au lendemain pour retourner vivre en France. J’ai alors effectué une seconde transformation : j’ai recréé une entrée pour la maison indépendante des deux vitrines. Ainsi, je me laissais une sortie de secours si j’avais dû remettre le commerce et garder la maison.

Vient alors la troisième et dernière transformation. La genèse du projet remonte à plusieurs années. Il y avait à l’époque un café dans le quartier, mais il était fermé le samedi. J’avais donc un petit coin avec deux tables pour servir du café aux gens, mais uniquement ce jour-là.

Finalement, les propriétaires du bar ont cherché à le remettre et il a été fermé durant quatre mois. J’ai décidé d’assurer l’intérim pour mes clients et d’autres personnes sont venues juste pour cela. Je me suis rendue compte qu’il y avait un créneau à prendre.

En 2013, je m’étais décidée sur le fait que je voulais agrandir mon commerce, mais j’ai dû attendre le bon moment. J’avais l’accord de la banque, mais il n’existait pas encore les fameuses facilités pour le premier emploi. L’idée était aussi de m’associer avec une connaissance, mais cela ne s’est pas fait et le projet a été reporté. Et puis un jour, le Gouvernement a annoncé qu’on ne devrait plus payer les charges patronales sur le premier emploi, donc c’était un véritable coup de boost pour mon projet.

Aujourd’hui, deux entrepreneurs et quelques années plus tard (le premier m’a quasiment baladée pendant un an en faisant des sondages dans les murs, etc. et il ne semblait pas avoir envie de commencer les travaux), il s’est enfin réalisé ! »

 

Journaux, pains et viennoiseries

« La boulangerie c’est de nouveau une histoire de quartier. Il n’y en avait plus dans les environs directs. La seule qui restait était située à l’autre bout du quartier, mais c’était un peu loin pour la clientèle plus âgée des environs. J’ai donc décidé d’ouvrir un dépôt de pain.

Au début c’était juste ça, un simple et petit dépôt de pain, puis cela a pris de l’ampleur donc j’ai décidé d’agrandir cette partie de mon commerce, notamment lors de la troisième transformation.

Pour cela, je devais trouver une boulangerie qui ne fermait pas en semaine, qui pouvait me livrer tous les jours et qui n’était pas située dans le quartier, car le but n’était pas de leur faire de la concurrence. Une boulangerie située près de la gare des Guillemins cherchait à reprendre un local commercial dans le coin pour s’étendre. Finalement, elle a laissé tomber l’affaire et à la place, nous avons noué une sorte de partenariat.

Mais je reste une libraire/presse avant tout ! J’ai même eu jusqu’à 2.000 titres de presse différents. C’était vraiment ma grande force, de pouvoir proposer des magazines que mes clients ne trouvaient pas ailleurs. J’en avais qui venaient juste pour cela, car un de leurs amis leur avait dit qu’on trouvait tout chez moi. Au fur et à mesure des années, j’ai dû réduire la quantité, en passant à 1.500 titres de presse d’abord et aujourd’hui je dois être à un peu plus de 1.000. J’ai réussi à réarranger toute la presse pour que cela reste attractif. J’ai notamment encore de nombreuses revues spécialisées de chez Tondeur.

À part cela, je ne propose pas spécialement de produits locaux. J’ai essayé à une époque de vendre un thé bio lancé par un jeune du coin, mais il a assez vite abandonné.

Par contre, je travaille avec La Bourrache. C’est une ASBL qui remet au travail des gens dans l’agriculture. Je sers de point de dépôt donc les gens commandent leurs paniers et viennent les chercher chez moi. Je le fais aussi pour le nettoyage à sec. C’est une façon d’offrir un service en plus à mes clients et bien souvent, ils prennent un petit quelque chose en plus en venant retirer leurs commandes.

Auparavant, j’ai travaillé de la même façon avec une cordonnerie, des tirages photos, etc. Mais j’ai abandonné, car ce n’était pas assez intéressant financièrement parlant.

De manière générale, mon mot d’ordre, c’est qu’il faut toujours chercher et ne jamais se contenter de la première chose que l’on trouve. »

 

Des projets, des projets et encore des projets

« Le futur ? J’ai encore quelques petits aménagements à terminer de-ci, de-là et des projets comme organiser des expositions temporaires ou faire venir des « repair cafés », ou une société d’achat d’or. J’ai plein d’idées pour occuper ce nouvel espace dont je dispose désormais. L’objectif est évidemment de ne pas reproduire une activité déjà présente dans le quartier, mais de proposer quelque chose en plus pour attirer des nouveaux clients.

J’ai également profité des travaux pour voir sur le moyen et long terme. Ainsi, tout est prévu pour que je puisse installer une cuisine dans la seconde partie avec une hotte, un lave-vaisselle, etc. Mon idée est d’engager quelqu’un à plein temps qui m’aiderait avant tout pour la librairie/presse, puis qui pourrait prendre en charge la partie cuisine…

Mais ne brûlons pas les étapes, je vais d’abord installer à fond ce concept-ci, puis voir ce que je peux mettre en place. »

Et alors qu’elle retourne au comptoir pour servir une cliente, un autre habitué se penche vers moi. « Vous savez, c’est une femme très courageuse. Quoi qu’il arrive, elle a toujours le sourire ! » me dit-il, avant de retourner chercher un café. Une preuve de plus que Marianne a d’ores et déjà réussi son pari.

Zoom libraire réalisé par Colin Charlier pour le Prodipresse Magazine n°90 (Octobre 2019)